Interview de Gérard Jouve

Interview Gérard Jouve VP CSCO  par Association des Harkis de Dordogne

Né en 1947, Gérard Jouve a quitté Oran le 30 juin 1962. Après des études de droit à Paris, il effectue sa carrière professionnelle dans le secteur bancaire et financier. Il est un des vice-présidents du Collectif pour la sauvegarde des cimetières d’Oranie – CSCO

1 – Quelle est la signification de votre engagement ?
La signification de mon engagement est multiple. C’est d’abord et avant tout, au nom du devoir de mémoire, d’assurer aux générations qui nous ont précédés en Algérie, en l’occurrence celles inhumées en Oranie, le respect et la dignité auxquels elles ont droit par la préservation de leurs sépultures. Cette tâche est difficile tant nos nécropoles sont dégradées sous l’effet du temps et surtout de l’action dévastatrice de l’homme à l’origine de lourdes profanations. Quel que soit le jugement qu’on peut porter sur la période coloniale, cette obligation morale s’impose à tous, y compris à l’Etat, ce que le Président Chirac avait bien compris. Au lendemain de son voyage de 2003 en Algérie, un plan d’action et de coopération relatif aux sépultures françaises a été élaboré. L’objet de ce plan visait à regrouper les cimetières dont l’état rendait impossible une opération de réhabilitation. Il a été abandonné pour des raisons budgétaires, argument difficilement acceptable compte tenu de l’état de ces cimetières et de la responsabilité mémorielle qui incombe à la France. Travailler à la sauvegarde de nos nécropoles en Oranie, c’est aussi sensibiliser les autorités locales à la conservation d’un patrimoine historique commun à l’Algérie et à la France.
Enfin, c’est pour moi le moyen de renouer le lien intergénérationnel douloureusement rompu par l’exode et ainsi reconstituer pleinement ce lien dans sa double composante physique et affective. Renouer le fil de mon histoire personnelle me permet plus globalement de replonger dans la réalité et la vérité de mon identité et de mes racines, l’apaisement en découlant facilite le travail de deuil. Lutter contre la dégradation et potentiellement le risque de disparition de ces tombes est une façon de conjurer la double peine.
2 – Pouvez-vous présenter votre association ?
Il s’agit du Collectif de Sauvegarde des Cimetières d’Oranie (CSCO) dont le siège est à Marseille. Association déclarée, il a été créé fin 2004 par un groupe de rapatriés originaires au retour d’un voyage en Oranie. Ils ont assigné au CSCO la mission de veiller à la réhabilitation et à l’entretien des cimetières, d’être l’interlocuteur de toutes autorités publiques, tant en France qu’en Algérie, ayant une responsabilité dans ce domaine, de coopérer avec ces autorités en vue de la réalisation de son objet, de défendre les intérêts des familles ayant des parents inhumés dans ces cimetières, enfin, de perpétuer le devoir de mémoire. Pour mener à bien cette mission, le CSCO a mis en place une organisation opérationnelle décentralisée tant en France qu’en Algérie. En France, par la création de Délégations régionales et départementales et en Algérie par le développement d’un réseau de correspondants algériens assurant le relais avec les autorités locales et le suivi des opérations.
Depuis sa création, le Collectif a multiplié les actions sous diverses formes :
Missions à Oran et en Oranie pour procéder au recensement des cimetières chrétiens et israélites et à la réalisation d’états des lieux. Ces missions sont l’occasion de prises de contacts et entretiens avec le Consul de France à Oran, les autorités municipales et les services préfectoraux concernés, la régie des Pompes Funèbres de la ville d’Oran pour le suivi des chantiers en cours et la programmation des futures opérations de réhabilitation.
Rencontres avec des députés et sénateurs, membres de cabinets ministériels, Présidents de Conseils généraux ou régionaux, maires. C’est ainsi que les villes de Nîmes, Nice et la région PACA ont accordé des subventions pour la réhabilitation, en tout ou partie, des cimetières d’Oran, Aïn Temouchent et Rio Salado. De son côté, le CSCO finance ou cofinance de telles opérations avec ses propres deniers.
Participation à des réunions de commissions nationales sur des questions concernant les rapatriés ou à des réunions d’information au ministère des Affaires Etrangères. Rendez-vous avec la Direction des Français de l’Etranger pour des points d’étape sur l’évolution de la situation des cimetières.
Promotion des missions et actions du Collectif, notamment lors de rassemblements de rapatriés, et participation aux différentes commémorations.
L’action du CSCO est donc essentielle dans la préservation de la mémoire des Français inhumés dans les nécropoles d’Oranie, mais cette mission est rendue plus difficile depuis l’abandon du plan Chirac pour les regroupements de cimetières
A la demande de ses adhérents, le Collectif peut procéder à des recherches de tombes et, si les familles le souhaitent, piloter les travaux de réfection des sépultures réalisés en partenariat avec les Pompes Funèbres d’Oran ou des entreprises locales. Il peut aussi organiser des voyages mémoriels.
Au fil de son existence, grâce aux efforts d’une équipe de bénévoles déterminés, le CSCO est devenu auprès des autorités, tant en France qu’en Algérie, un interlocuteur privilégié et incontournable sur les questions intéressant la conservation des cimetières. Le CSCO compte parmi ses adhérents des personnes physiques et des amicales ou associations qui lui assurent une représentativité significative. Il édite un journal périodique, « Devoir de Mémoire », destiné à fournir aux adhérents ou à toutes personnes intéressées des informations sur ses activités.
3 – Quelle est votre position concernant le  60ème anniversaire ?
Je suis personnellement opposé à une commémoration nationale de cet anniversaire dans la mesure où la fin de la guerre d’Algérie marque la défaite de la France qui a conduit les pieds-noirs et les harkis, mus par un sentiment d’abandon et un avenir menacé, à trouver leur salut dans un exode massif et douloureux sans espoir de retour. Les stigmates de ce drame, en dépit du temps écoulé depuis cet événement, sont encore vifs au sein des deux communautés.
Une telle commémoration poserait la question du choix de la date dont on sait qu’elle est l’objet de nombreuses controverses. La date le plus souvent avancée, le 19 mars 1962 qui correspond au cessez-le-feu fixé par les accords d’Evian signés la veille, serait de mon point de vue inapproprié dès lors qu’elle n’a jamais signifié la fin des hostilités, bien au contraire. En effet, c’est à partir de cette date que s’ouvre la période la plus violente de la guerre d’Algérie avec la multiplication des enlèvements et l’assassinat de dizaines de milliers de harkis et de milliers de pieds-noirs. Les massacres d’Européens du 5 juillet 1962 à Oran en ont fait la journée la plus meurtrière du conflit.
Il est à craindre que le discours prononcé à cette occasion soit le point final d’une démarche de réconciliation mémorielle entre la France et l’Algérie que le Président de la République mène seul et à petits pas. Ce qui ne manquera pas de raviver et réactualiser la douleur des rapatriés comme le fît, en son temps, la culpabilisante assimilation de la colonisation à un crime contre l’humanité.
C’est pour l’ensemble de ces raisons que je serais plutôt favorable, dans une démarche de réconciliation mémorielle entre les Français, à un projet d’une autre nature, plus consensuel, tel celui que propose le Souvenir Français visant à une réconciliation par-dessus les tombes des Morts pour la France qui s’inscrit dans la durée. 
Avril 2021